D'un point de vue purement artistique, l'œuvre warholienne ne vient pas de rien. Elle s'inscrit dans une histoire de la peinture moderne commençant au milieu du XIXe siècle avec Manet. S’il fallait une date à cette rupture ce serait, quasiment un siècle avant Warhol, l’exposition des Refusés de 1863 à Paris, où Manet montre son Déjeuner sur l’herbe. Pour Gaétan Picon, cela marque la fin de la peinture classique, celle qu’il appelle la « peinture dédoublée », là où l’image est le signe d’un signe (elle renvoie à un texte biblique, mythologique, historique). La peinture naissante, elle, ne renvoie à rien. Elle n’imagine pas. Ce que représente Manet, Degas puis les impressionnistes, c’est ce qu’ils voient, un point c’est tout. Et déjà, comme le note Gaétan Picon, « par son choix du présent, la nouvelle peinture se rattache au dessin de journal, au croquis de more, à la caricature politique ».
Mais elle reste à la marge – ce n’est pas tant la culture populaire qui l’intéresse que la représentation du réel : la ville, la campagne, les êtres ordinaires dans leur vie quotidienne, au travail ou se divertissant.
Et si un siècle plu tard Warhol paraît montrer un intérêt inverse – pour la culture populaire plutôt que pour le réel -, c’est surtout parce que la société occidentale a changé, parce qu’elle commence ça révolution technologique et da désindustrialisation, parce que le monde ouvrier ne le sait pas mais disparaît lentement et que la culture populaire finit de se dissoudre dans la consommation et communication. Voila le nouveau réel selon Andy : la pub, le commerce, les marques, la violence, le fric et les stars. Il n’est pas né d’un l’imaginaire d’un artiste et ne renvoie à rien d’autre qu’à lui-même. Et Warhol le montre, tel quel. Ce qu’il montre est assez peu poétique, et les moyens qu’il emploie sont plutôt crus, car entre-temps, entre Le Déjeuner sur l’herbe et 32 Boites de soupes Campbell, entre 1863 et 1962, entre Manet et Warhol, il y a eut Marcel Duchamp.
Marcel et ses ready-made (Roue de bicyclette, Porte-bouteilles, Foutain – L’Urinoir), ou le simple objet manufacturé devenu œuvre d’art par la seule volonté de l’artiste : Duchamp ne représente même plus ce qui est, il le pose là, tel quel, un point c’est tout. Cette nouvelle rupture a une date, celle de la conception du premier ready-made, la Roue de bicyclette, en 1913 (ou celle de la première exposition – refusée -, Fountain, en 1917 à New York)…