«(…) Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? En science, cette question se pose ainsi : peut-on expliquer l’origine de la structure physique de l’univers, c'est-à-dire l’espace, le temps et la matière ?
A la fin du XIXème siècle, ces termes étaient encore séparés : on pensait l’espace comme une grande boîte vide, la matière comme des objets dans cette boîte, et le temps comme un grand tic-tac cosmique, censé « s’écouler ». On s’est aperçu depuis que l’espace, le temps et la matière étaient une seule et même chose. C’est une idée violente, difficile à accepter. Einstein commence par nous expliquer qu’ « espace » et « temps » ne sont pas séparés, mais qu’il existe en fait un « espace-temps », et il ajoute que cet « espace-temps » est une boite, la matière peut déformer cette dernière ! Si cela vous paraît compliqué à visualiser, pensez à de la gelée de veau : vous mettez un objet dedans, elle se déforme, n’est-ce pas ? Eh bien ! Les étoiles et les trous noirs font pareil dans l’espace-temps.
Et la matière ?
La réponse est dans une des équations les plus profondes du XXème siècle : E=mc², qui a complètement changé l’idée que l’on se faisait de la matière. Avant Einstein, la masse, - le « m » de l’équation – était la caractéristique essentielle de la permanence de la matière : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », disait Lavoisier ! Autrement dit, les atomes, la matière sont absolument permanents. E=mc² répond que non, cette masse n’est pas forcément permanente, car elle équivaut à de l’énergie. Et l’énergie, c’est justement ce qu’il y a de plus transformable dans l’univers. A partir de lumière pure, de rayonnement pur, bref d’énergie, vous pouvez en effet fabriquer de la matière. Et, réciproquement, la matière peut se transformer en rayonnement. Voilà pourquoi on peut dire que l’essentiel de la matière de l’univers a été fabriqué dans le big-bang, à partir de rayonnements purs : la matière, c’est comme de la lumière congelée !
Vous évoquiez Proust et Einstein, mais s’il y a bien quelque chose qui persiste dans le langage commun, malgré leur travaux respectifs, c’est la conviction que le temps existe, et qu’il « passe »…
C’est vrai : le matérialisme opaque qui a précédé Einstein, plutôt effrayant avec sa conception d’un temps irréversible et inexorable, a beau ne plus être tenable, on continue à formuler les choses comme si le temps « s’écoulait ». C’est dire la pesanteur des idées du XIXème siècle ! Car, s’il y a bien une chose qu’Einstein nous a expliquée, et que Proust a parfaitement comprise, c’est que le temps est une illusion. Ceux qui pensent que Proust est le poète des regrets, focalisé sur le temps passé, font un énorme contresens. Derrière la conception du temps du romancier, il y a l’idée que l’essence de l’homme est éternelle. Et la possibilité d’accéder vraiment à ces moments « passés », à travers l’expérience d’une madeleine trempée dans une tasse de thé, le dit bien.